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Pierre Sommermeyer

Bien le bonjour Oaxaca

jeudi 30 octobre 2008

Bien le bonjour ! C’est ainsi que commencent les courriels que je reçois, comme bien d’autres, régulièrement dans ma boîte électronique en provenance de Georges Lapierre. Tout simplement « Bien le bonjour ! », comme s’il était mon voisin. Il me raconte alors une révolution qui se passe à des milliers de kilomètres de chez moi. Dans un pays, le Mexique, où je n’ai jamais été, où je n’irai peut-être jamais, mais dont certains noms résonnent dans ma mémoire : les frères Magon, Pancho Villa, Zapata, plus récemment celui d’un sous-commandant et d’autres encore. Maintenant, il faudra rajouter Oaxaca !

Tout a commencé par une revendication salariale. Comme les deux années précédentes, les instituteurs d’Oaxaca se sont mis en grève pour demander l’alignement de leur salaire sur celui de leurs collègues des autres États du Mexique. Rien que de très banal chez nous. Mais la grève dure, et elle déplaît fortement au gouverneur du coin. C’est mauvais pour sa réputation d’homme à poigne, corrompu par ailleurs. Il lance une attaque contre ces grévistes, 92 blessés. Les assaillants sont repoussés par l’intervention de la population solidaire. La commune d’Oaxaca, celle dont Georges Lapierre nous raconte l’histoire, est née !

Ce livre est plus qu’une compilation de souvenirs rassemblés au jour le jour et qu’il suffirait de lire avec une pointe de nostalgie et de regret de ne pas y avoir été. Composés de trois parties, les récits des journées du 29 septembre 2006 au 26 janvier 2007 sont suivis par un ensemble de documents qui donnent la parole à d’autres sources concordantes. Entre la préface de Raoul Vaneigem et le récit proprement dit, Georges Lapierre pose en plusieurs textes le début d’une réflexion sur les possibilités et les conditions d’une forme de révolution au XXIe siècle. Pour le lecteur, éloigné géographiquement du lieu de l’histoire et qui a, comme moi, lu occasionnellement des extraits de ce feuilleton, c’est alors le moment de s’arrêter et de relire l’ensemble de ces journées avec un œil nouveau. Le Mexique, par l’action de la guérilla zapatiste et la parole de son sous-commandant, a porté un coup définitif au mythe guévariste de la lutte armée. Les groupes guérilleros qui continuent de se battre çà et là apparaissent enfin pour ce qu’ils étaient dès l’origine, comme des impasses politiques pour le moins et comme des entités au militarisme exacerbé dépourvu de toute dimension libératrice.

Avec la commune d’Oaxaca, on passe à la révolte urbaine. Le parallèle, fait par Lapierre, avec la Commune de Paris est éclairant. Il amène à reconsidérer ce que cette dernière fut, d’abord une réaction nationaliste face à un envahisseur, obligée par la suite à une auto-organisation du fait de la fuite du pouvoir. Ce parallèle renvoie du même coup la Commune de Paris à sa dimension mythique et historique.

Oaxaca montre, aujourd’hui, que la révolte urbaine, quand elle prend une dimension insurrectionnelle, est rapidement confrontée à l’exercice du pouvoir. La ville entourée dans des limites précises, visibles, n’existe plus. La ville contemporaine est une agglomération de quartiers plus ou moins distants du centre. Les indifférents, les adversaires de ce qui se passe vivent côte à côte, comme entrelacés avec les partisans, les acteurs de l’insurrection.

Car il s’agit bien d’une insurrection. Mais qui refuse de prendre le pouvoir. Claudio Albertani rapporte avoir vu un bombage dans une des rues d’Oaxaca proclamant : « Ils veulent nous obliger à gouverner, nous n’allons pas tomber dans cette provocation. »

Pour ne pas tomber dans ce piège, la forme d’organisation adoptée est celle de l’Assemblée. L’Appo (Assemblée populaire des peuples de l’Oaxaca), qui est à l’origine un regroupement d’organisations, fut phagocytée par l’insurrection. Georges Lapierre nous raconte comment cela s’est passé. Comment cette assemblée s’est organisée. Quels organes furent mis en place : un conseil exécutif dont les conseillers sont révocables à tout instant, des commissions en charge de la culture, de la santé, de la presse, des barricades ; il y en aura 23 d’instituées. À travers ce livre surgit une vie trépidante d’activité, foisonnante de possibles et en même temps sans illusion sur son devenir. Une vie qui nous remplit à la fois d’espoir et d’interrogations sur notre propre vie. Aux dernières nouvelles, Georges Lapierre revenait d’« un court séjour dans la “huichola”, auprès du peuple Wixarika pour la 20e assemblée du Congrès national indigène ». C’était le 14 mars de cette année. Il nous dit que « cette confrontation inégale entre deux mondes, entre un système totalitaire qui se nourrit de la décomposition sociale qu’il engendre et la résistance tenace des “cultures”, tous ces savoir-vivre qui ont fondé notre humanité, est une réalité de notre temps ». Voilà quelque chose qui échappe aux urbains déracinés que nous sommes pour la plupart. Nous avons envie d’en savoir plus. Nous attendons donc de tes nouvelles ! Bien le bonjour, Georges !

Pierre Sommermeyer

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