De Oaxaca à Tel Aviv et Manhattan, de Téhéran à Paris, en Tunisie, en Égypte et plus récemment en Algérie, la classe moyenne salariée développe depuis quelques années des luttes massives, parfois violentes, contre l’État capitaliste.
Alliée au prolétariat ou seule, elle fait la grève, manifeste, dresse des barricades, occupe des places pour défendre sa position et ses privilèges dans la société. Ces luttes ont rendu visible le fait qu’elle est une vraie classe, pas une vague couche intermédiaire entre prolétariat et bourgeoisie. C’est une classe qui incarne le travail intellectuel tel que le taylorisme et le fordisme l’ont historiquement séparé du travail manuel, lui donnant simultanément une fonction d’exécution et d’encadrement.
Bénéficiaire d’un sursalaire qui lui permet de surconsommer et d’avoir des réserves, la classe moyenne salariée n’est pas destinée à se fondre spontanément dans le prolétariat sous l’effet de la crise, débarrassant ainsi la théorie d’une épineuse question. Car l’existence de cette classe, que Marx n’avait pas vraiment prévue, implique de préciser notre vision des rapports sociaux dans les pays développés et émergents : il faut passer du face à face prolétariat/capital à un ménage à trois… classes qui s’affrontent dans un ballet plus compliqué, où l’interclassisme est une figure récurrente.
Le présent ouvrage fait une première exploration de cette complexité, et cherche à dégager la perspective communiste du maelström des luttes interclassistes qui se multiplient en ce début de 21° siècle.
Bruno Astarian s’intéresse depuis quarante ans aux problèmes théoriques du communisme, et à participé à la formation du courant dit de la « communisation ». Il a notamment publié Le Travail et son dépassement (Senonevero, 2001), Luttes de classes dans la Chine des réformes (Acratie, 2009) et L’Abolition de la valeur (Entremonde, 2017).
Robert Ferro est, depuis 2012, l’un des animateurs de la revue théorique italienne « Il Lato Cattivo » et du site associé.
« La classe moyenne salariée est plus qu’une simple couche sociale définie par des niveaux de salaires intermédiaires. Nous avons montré que le passage progressif des bas salaires du prolétariat aux salaires moyens, puis élevés, de l’encadrement n’est pas une simple transition statistique, mais cache un changement dans la nature même du salaire. Ni le marché du travail, ni les différences dans la valeur des forces de travail ne suffisent à expliquer la hiérarchie des salaires. Il faut faire intervenir la notion de sursalaire. Cela se fait en analysant la façon dont le capital utilise la plus-value sociale totale. La classe moyenne salariée se définit par le fait qu’elle est destinataire d’une partie de cette plus-value sous la forme du sursalaire. Le capital consent à ce supplément de salaire pour payer l’encadrement de la production et de la circulation de la valeur et s’assurer du zèle et de la fidélité de la classe moyenne salariée. Le fait d’être définie par sa fonctionnalité et la spécificité de ses revenus constitue la classe moyenne salariée en classe proprement dite. Il y a le prolétariat, défini par son statut de sans réserves, les capitalistes, détenteurs des moyens de production, et la classe moyenne salariée, caractérisée en même temps par son travail (intellectuel) et par la fonction d’encadrement qu’elle exerce par délégation des capitalistes. Cette classe défend normalement ses intérêts dans ses rapports avec les autres classes. Nous voici confrontés au ménage à trois de la lutte des classes, par opposition au schéma à deux classes (l’affrontement prolétariat/capital) qui prévaut depuis longtemps. »
(Extrait)