« Il y a des filles à matelots, il y a des filles à soldats, toi ma chérie tu es une fille à pédés ! » Lola Miesseroff n’avait que 18 ans en 1966 lorsqu’elle s’entendit asséner ce qui devint rapidement une évidence : elle aimait vraiment beaucoup se lier d’amitié avec les hommes qui préfèrent les hommes et ceux-ci le lui rendaient bien. Une enfance « dégenrée », une éducation naturiste et libertaire et un milieu familial socialement en marge où la liberté, y compris celle de l’amour et du sexe, était une valeur-clef l’avaient sans doute bien préparée à ce destin un peu particulier. Des années 1950 à nos jours en passant par Mai 68, de Marseille à Paris via San Francisco, des boîtes de nuit au mariage homogenré en passant par le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), c’est son aventure picaresque et bigarrée qu’elle conte dans ce récit de vie où l’on rencontre des femmes et des hommes singuliers, homo, hétéro et bisexuels, folles et garçonnes, travestis et transgenres.
Mais le propos est de briser les carcans de ces catégories, de faire exploser les codes et les identités, de plaider pour la polysexualité et la « désorientation sexuelle », d’ouvrir au plus grand angle le champ des rencontres et des affinités. Tout cela s’inscrivant dans un projet bien plus vaste, celui de subvertir ce monde dans l’avènement révolutionnaire de la véritable communauté humaine, à rebours des luttes trop souvent séparatrices, parcellaires, catégorielles et identitaires d’aujourd’hui.
Dans la lignée du Nouveau Monde amoureux de Charles Fourier, ainsi que le fait observer Hélène Hazera dans sa préface, l’autrice entend montrer que l’amour et l’exultation des sens peuvent être des armes de combat. Et comme ce combat ne vaut pour elle que s’il est vécu dans le rire et la légèreté, ce qu’avaient pu constater les lecteurs de son Voyage en outre-gauche, on ne risque guère de s’ennuyer avec cette toujours pétaradante « fille à pédés » qui ne se prend jamais au sérieux.