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Histoires de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes
Collectif
Article mis en ligne le 22 janvier 2025
dernière modification le 6 février 2025

par Libraire

Jean-Luc Sahagian, a écrit à propos du livre :

« Nous avons beaucoup aimé les histoires qui nous venaient de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
Je vivais à l’époque dans les Cévennes et participais à une petite bibliothèque anar, sise au fin fond de la grand-rue et qui tranchait le village de bas en haut. La bibliothèque se trouvait plutôt vers le haut, lorsque l’on sortait du village pour aller vers la Vallée Borgne.
Il faut établir la géographie des lieux car les histoires de la ZAD concerne aussi un territoire, physique et mental, borné par les contes merveilleux de l’enfance. »

« Avec la forêt et les cabanes dans les arbres, et les monstres casqués auxquels résistaient tout un petit peuple de boue. La zone était séparée en deux par une route, ladite « route des chicanes », car elle avait été envahie d’obstacles divers afin d’empêcher la circulation motorisée et, partant, l’intrusion des gendarmes. Du côté Est de cette route se trouvaient moult cabanes et abris extraordinaires, et c’est cette zone qui fut expulsée en priorité, en 2018, après le démantèlement par une partie des habitants eux mêmes de la “route des chicanes”. »

« La magie était là et ce grand vent d’ouest vint tout à coup aérer notre imaginaire et réactiver toute une mythologie intime, celles de nos lectures enfantines, celles des vieux films que l’on regardait la nuit sur d’antiques télés en noir et blanc. Des histoires de loyauté et de résistance, de sentiments entiers et d’émotions fortes. En regardant les images qui nous venaient de la ZAD, en lisant les mots que nous adressaient tous ces amis inconnus, une grande exaltation montait en nous et nous rêvions ensemble, dans notre petit local pauvrement éclairé, et nous allions nous baigner à la Borie, petit territoire libre juste au-dessus du village et la vie semblait ouverte. »

« Je me souviens aussi des premières rencontres avec des zadistes, en Bretagne : celui qui avait monté une bibliothèque rurale dans une ferme pas bien loin de la zone, ou celui qui nous racontait sa participation aux combats lors de la résistance à l’opération César, son casque de Gaulois et son bâton noueux couronné d’une masse de fer qu’il abattait, disait-il, sur les casques des gendarmes mobiles. Je me souviens encore de cet ami qui avait essayé de rejoindre la zone cadenassée par les gendarmes en prenant des chemins de traverse, et s’était fait courser par une vache balèze, n’ayant dû son salut qu’à un saut fantastique par-dessus une haie de fil de fer.
Toutes ces histoires. »

« Plus tard, nous avons dû partir au moment même où une partie de la ZAD se faisait expulser. Ce fut la fin de pas mal d’histoires. Et le retour à la morne réalité. Le vent était tombé. Comment ferions-nous désormais pour vivre gentiment à la petite semaine ? Oui, nous étions nombreux à cette époque à vivre des moments merveilleux hors de la ville. Nous avons du mal à nous en souvenir maintenant que tout est devenu si mauvais. Et que la totalité du monde semble siphonnée par les objets froids et diaboliques du pouvoir technomarchand. »

« Et puis, il n’y a pas longtemps, un livre est revenu sur ces histoires merveilleuse et cruelles de la ZAD de NDDL. Il s’intitulait justement Histoires de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et c’était le “s” d’histoires qui importait ici. En effet, dans ce livre de témoignages sauvages, sans éditeur ni copyright, c’est l’esprit de la piraterie qui était mis en avant. Pas de chef, pas de partis, pas de syndicats ni de coteries. Juste peut-être l’esprit de la bande, de la horde ou même du Lone Wolf. »

« Si ce livre me semble si important, c’est qu’il soulève nombre de questions. Et instille le doute. S’il me touche autant, c’est qu’il raconte des itinéraires de vie non pas exemplaires, mais tous passionnants. Quelque chose comme une fidélité à des idéaux d’une enfance d’avant ce monde. La loyauté, le courage, la détermination et l’envie d’en découdre. Sans se rendre jamais aux raisons du monde des adultes. Car il s’agit ici, dans cette vingtaine d’histoires, de raconter l’envers d’une histoire au singulier, peaufinée par les vainqueurs officiels de la ZAD. Ceux qui ont reçu l’aval des autorités. Et qui ont contribué, plus ou moins directement, à l’expulsion d’une partie de la zone après l’abandon du projet d’aéroport par l’État en 2018. Des histoires des perdants de l’histoire. Ceux à qui on a fait du tort. Et qui, jusqu’à maintenant, n’ont pas eu vraiment accès à la parole. Ce livre est là pour tenter aussi de rendre la honte plus honteuse. Car les gagnants de la ZAD, dans ce monde qui déteste les perdants, continuent à prospérer dans le jeu politique et médiatique. »

« Au moment de la montée en puissance de la ZAD, nous avions été sensibles aux habitants des cabanes dans les arbres. Nous avions même publié un extrait de l’intervention d’une de ces habitantes dans le numéro 14 du Bulletin des compagnons de nulle part, le petit fanzine édité par des participantes à notre bibliothèque-infok. Je reproduis ici une partie de ce texte afin de montrer ce qui nous mobilisait à l’époque, en 2013 (et qui me mobilise toujours aujourd’hui). Le discours est extrait d’un film, Quand les arbres s’agitent, tourné et diffusé par ces habitants de la ZAD. »

Les yeux sont cernés mais grands ouverts sous la capuche noire, et la voix sort claire derrière le foulard blanc aux motifs indiens. Elle est équipée de cordages pour pouvoir remonter dans une des cabanes installées dans la forêt. […] Pour le moment, on entend juste le bruit de la forêt derrière elle, ou plutôt un silence peuplé. Son français est un peu hésitant, on sent qu’elle cherche ses mots pour répondre à la question qu’on vient de lui poser : « … parce que partout dans le monde, on est en train de détruire tout le monde, toute la nature, tout ce qu’on a besoin pour vivre, et ça peut pas continuer comme ça, les gens qui pensent juste à l’argent et à la croissance, mais ce qu’il nous faut, c’est de l’oxygène et de la nourriture, et c’est le temps de se battre pour ça car sinon on va tous mourir. Et tous les animaux. Moi je me bats surtout pour les animaux, parce que les êtres humains, c’est notre propre faute qu’on est si stupides mais les animaux, je les aime trop. »

« L’on retrouve, dans ces Histoires de la Zad, certains témoignages des occupantes de la forêt. Et voilà aussi ce qu’ajoute le préambule du livre et que n’avions pas vraiment perçu sur le moment, vivant loin de la zone. »

« La résistance aux expulsions de 2012 est documentée par de nombreuses photos et vidéos. Certains montrent des camarades qui se déplacent d’arbres en arbres, à dix ou quinze mètres de haut, sur des ponts de singes. Même si ces pratiques de funambules s’approchent du merveilleux, le plus touchant se déroule au pied des arbres. Des dizaines, voire des centaines, de personnes encourageant les amies dans les airs, les applaudissant, jouant de la musique, sifflant, chantant. On y remarque des visages euphoriques, qui crient, qui expriment leur enthousiasme, leur peur, leur solidarité. »

« Mais ce qui est peut-être le plus dérangeant dans ce livre, c’est qu’il pointe notre commune faiblesse face à une forme de séduction. Après cet enthousiasme premier et fédérateur des cabanes, de cette résistance évidente à la police, et un intérêt continu pour la ZAD qui prenait une ampleur imprévue, même chez les médiatiques (et la fin d’une période avec l’intimité et l’humilité d’un début, si riche en expériences improbables et si loin du modèle acceptable, ajoute l’une des rédactrices du livre) nous avions invité des camarades zadistes pour parler d’un livre sur la ZAD qui venait de sortir, Contrées, joli livre, bien édité, bien construit, mettant en regard des témoignages sur la lutte de Notre-Dame-Des-Landes et celle des No Tav dans le Val de Susa à côté de Turin. Problématiques claires, perspectives se dégageant de ces luttes territoriales, le récit était bien sûr séduisant, comme l’étaient les personnes qui le présentaient. Sans vraiment le vouloir, même si nous étions au courant des dissensions grandissantes sur la zone, nous avons donc favorisé la parole des futurs vainqueurs qui se préparaient déjà, peut-être, à la post-ZAD. Sensibles que nous sommes aux beaux livres, bien écrits, à la parole qui claque, à une certaine forme de littérature, aux écrits des Surréalistes, de l’IS, nous sommes allés du côté de ce que nous connaissions le mieux, délaissant la critique pauvre, les brochures grises au jargon militant ou à la prose hérissée. »

« On la retrouve heureusement dans ce livre, et sa puissance critique s’exacerbe dans la répétition, (le ressentiment diront les vainqueurs de haut de leur morgue), le dévoilement de parcours de vie sur la ZAD et la joie de vivre enfin quelque chose s’approchant de l’anarchie. Et la rage d’avoir été chassés par ceux et celles qui ont accepté d’accueillir les journalistes puis signé les contrats avec la préfecture et enfin aidé à dégager tous ceux qui marquaient mal. Ces individus hors contrôle qui rendaient la situation explosive et incompréhensible dit l’un des témoignages. Et qui n’avaient pas leurs entrées dans la bourgeoisie de gauche, chez les journaleux, les universitaires ou les écrivains. Qui n’avaient pas les relais ni la capacité de séduction des gagnants. Eux qui ne voulaient peut-être rien construire d’autre qu’un moment d’antagonisme, qu’un rêve. Eux qui étaient avant tout contre le monde et son aéroport. Je ne sais pas. Mais certainement pas prêts à pactiser avec la gauche ni à construire un parti, même imaginaire. »

« Il ne s’agit pas de donner ici toutes les bonnes raisons aux uns et toutes les mauvaises aux autres. Nous savons, pour l’avoir nous-mêmes vécu à notre échelle à la bibliothèque-infok de Saint-Jean-du-Gard, durant la dizaine d’années de son existence, combien des dynamiques négatives peuvent se mettre en place sur la durée et déboucher sur des haines féroces. Nous avons aussi vu débarquer, dans notre village cévenol, que l’on croyait pourtant protégé de la bêtise de l’époque, les identitaires de la postmodernité et leurs embrouilles misérables. Et on peut bien imaginer ce que cela pouvait engendrer dans un lieu comme la ZAD, soumis à toutes les pressions politiques, policières et médiatiques. Mais cela n’empêche pas de penser qu’à travers ce livre, il me semble entrevoir aussi comment une tendance de la critique a finalement rendu les armes. Et redonné comme un coup de neuf à la gauche. »

« Pour conclure, laissons la parole à Mimi Cracra, l’une des rédactrices de ces Histoires de la ZAD :
“Bien sûr, la fin de cette lutte est à l’image de bien d’autres. Elle vient rappeler que les profiteurs sont puissants et très divers, qu’ils apparaissent souvent parmi les « élites » de la lutte elle-même. L’État les recherche pour créer un dialogue et les valide pour leur déléguer la pacification de ce qui lui échappe. Puis la porte est ouverte sur une longue carrière. La petite clique qui a piloté la fin de la lutte est bien issue du mouvement d’occupation. Elle a su saisir l’occasion pour capitaliser l’imaginaire rebelle et indomptable de la zad, tout en suivant la voie tracée par les organisations citoyennes, agricoles et politiciennes. […] Mais c’est surtout la possibilité rare de crier « victoire » qui leur a été offerte. C’est sur cette couronne de laurier que ces quelques stratèges ont pu poser la base de leur « nouveau » modèle de lutte : des alliances politiciennes qui recyclent la gauche réformiste, des stratégies d’état-major pour des moments spectaculaires appuyés par des clips médiatiques relayés à l’infini.
Les « Soulèvements de la terre » s’imposent donc très vite comme une sorte de syndicat centralisé des luttes écologistes, avec pour fonds de commerce le désastre environnemental et la colère qu’il suscite.”
 »

« Lisez Histoires de la ZAD.
La mémoire de ces lieux et des gens qui les ont fréquentés, de ce qui se jouait et se vivait sur ce bout de bocage, se dissipera aussi, si elle n’est pas transmise, dans le brouillard de l’histoire des vainqueurs.ses. »


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