Chroniques des luttes contre les crimes racistes ou sécuritaires,
contre la hagra policière et judiciaire (des années 1970 à aujourd’hui)
« Que justice soit faite » : après chaque drame, familles et ami-e-s des victimes de crimes racistes ou sécuritaires sont partagés entre douleur et révolte, ils sont aussi tentés de croire à une justice immanente, à une réparation symbolique pour la vie irrémédiablement volée. Mais ils (re)découvrent alors la hagra – le mépris et l’injustice – d’une société fière d’afficher les principes d’égalité mais qui, en pratique, se crispe dans le déni de ses discriminations sociales ou racistes systémiques et qui, pour se couvrir, peut aller jusqu’à absoudre un « homicide excusable » lorsqu’un policier tue d’un tir dans le dos.
Paroxysme d’une expérience vécue au quotidien, cette hagra constitue bien souvent le point de départ d’une prise de conscience politique et de formes d’organisation autonomes, d’une expression culturelle foisonnante et de nombreuses mobilisations collectives, notamment dans les quartiers populaires, pour obtenir « vérité, justice, reconnaissance » et pour inscrire la mémoire des disparus dans la mémoire collective.
Ce document propose une plongée dans certaines de ces luttes, du point de vue des acteurs et actrices, en s’appuyant sur leurs propres archives politiques ou culturelles (chansons, journaux, tracts, dessins, affiches, émissions de radios libres, théâtre, films etc.) : il remémore ainsi l’action des Copains de Kader à Vitry et celle des ami-e-s de Lahouari Ben Mohamed à Marseille ou l’autodéfense antifasciste à Bondy au début des années 1980, revient sur la genèse de la marche pour l’Égalité et contre le racisme de 1983, sur les mobilisations pour Malik Oussekine et Abdel Benyahia, Aïssa Ihich et Youssef Khaïf à Mantes-la-Jolie, en passant par Djillali Ben Ali et Mohamed Diab au début des années 1970. Il se conclut par un rappel des révoltes de l’automne 2005 consécutives à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois et s’interroge sur la coexistence entre critique radicale et réformisme pragmatique au sein de mobilisations qui cherchent à mieux se coordonner.
« Rengainez, on arrive ! » – un des cris de ralliement de la marche pour l’Égalité –, souligne les attentes, les dynamiques internes, les acquis et les limites ou contradictions de ces luttes. Sans complaisance donc avec « la part de bluff » propagandiste, ces chroniques entendent renouer avec la pratique militante du bilan autocritique, pointer les apparitions médiatiques spectaculaires mais éphémères, le « travail d’agitation politique sans suite », les analyses générales surdéterminées par une dénonciation incantatoire sans s’attacher aux réalités complexes et aux singularités de chaque situation. Avec comme perspective de creuser des pistes pour constituer des rapports de forces plus favorables dans les combats politiques et judiciaires à venir.