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En finir avec le capitalisme thérapeutique
Josep Rafanell i Orra
Article mis en ligne le 31 décembre 2022
dernière modification le 30 décembre 2022

Plus de dix ans après la première édition (Les Empêcheurs de penser en rond, La Découverte, 2011) d’En finir avec le capitalisme thérapeutique, le constat reste le même : les institutions poursuivent tant bien que mal leur travail de normalisation et de contrôle, même si elles n’en restent pas moins, mais de plus en plus rarement, des lieux d’hospitalité.

Les enquêtes et réflexions contenues dans ce livre traçaient quelques prolégomènes de la si bien nommée « crise du social » qui s’est approfondie avec l’accélération des ravages néolibéraux. Si deux nouveaux textes, en guise d’introduction et d’épilogue, en tirent quelques conséquences au plus près de notre actualité, la question demeure : aux frontières de la psychiatrie et des univers assistantiels, comment contribuer à la résurgence de formes d’entraide et de coopération ? Comment cultiver des milieux de vie contre l’ordre brutal de la négligence qui prétend nous gouverner ? Qu’en est-il des fabriques d’alliances entre lutte et guérison ? 

Nous devrions sortir des dichotomies qui asphyxient les univers du soin, particulièrement en France : ni le psychanalysme et son culte du sujet esseulé ni les thérapeutiques comportementales fabriquant des individus adaptés. Mais des pratiques de soin qui fabriquent des communautés aux devenirs improbables. L’auteur en interrogeant la relation thérapeutique en tire une conclusion : celle-ci n’est rien d’autre qu’un travail de « communisation » dans lequel sont pris aussi bien le thérapeute que le « patient ».

On suivra Josep Rafanell i Orra à travers des enquêtes où surgissent des situations où s’entrelacent des manières d’exister, là où « les polices du social » ne voient que des surnuméraires à réintégrer dans l’économie et des sujets à gouverner : des squatteur·euses réfractaires aux chômeur·euses en grève, des usager·ères de drogues aux Roms expulsé·es… pris·es dans des devenirs communs. Ces devenirs préfigurent toute « scène thérapeutique » préinstituée et contribuent à l’épaississement des mondes.

La réactivation d’une culture des attentions est aussi celle de nos interdépendances localisées. Alors, mettre en partage des expérimentations, œuvrer à leur mise en résonance et à des transversalités, c’est susciter les zones formatives de l’expérience et participer à l’éclosion de lieux singuliers à la place des espaces administrés.

S’il faut refuser le saccage organisé des pratiques de soin et plus largement des formes d’hospitalité, c’est en tournant notre regard vers les devenirs possibles des multiplicités qui habitent le monde. Cette réédition voudrait y contribuer.


Préface d’Isabelle Stengers. Une préface et un épilogue inédits de l’auteur viennent compléter cette réédition.