Avec la publication du présent livre paraît pour la première fois un ouvrage en langue française signé du seul nom de Luce Fabbri (1908–2000), une intellectuelle italo-uruguayenne auteure d’une œuvre importante, tant par sa qualité que par sa quantité, mais rigoureusement ignorée des éditeurs du Vieux Continent. L’installation à Montevideo des Fabbri, Luce et ses parents (les anarchistes Luigi Fabbri et Bianca Sbriccioli), après leur départ de l’Italie fasciste pourrait expliquer en partie l’indifférence de ces éditeurs à l’égard d’une œuvre inspirée par une réflexion politique très éloignée des orthodoxies, la libérale et la marxiste, régnant après 1945 chez l’immense majorité des intellectuels occidentaux.
Le présent volume recueille deux de ses innombrables études politiques, inédites en France l’une et l’autre. La première, Leçons sur la définition et l’histoire du fascisme est la version française de l’opuscule Fascismo : definición e historia, édité en 1963 par l’Université de la République (Montevideo) – où Luce était titulaire d’une chaire de littérature italienne –, dans lequel elle synthétisait et prolongeait son livre Camisas Negras [Chemises noires] (Buenos Aires, 1934). Dans ce court mais substantiel ouvrage, Luce s’efforça de distinguer ce qui était à ses yeux le trait distinctif du fascisme italien (la conservation d’un ordre social injuste par le recours systématique à la violence la plus cruelle et inhumaine) de ses caractéristiques secondaires (le nationalisme au premier chef), recourant à l’idée de « contre-révolution préventive » forgée dès 1922 par son père pour caractériser le fascisme italien.
La seconde étude, « Le totalitarisme entre les deux guerres » (1945), parut en langue italienne dans la revue Studi Sociali fondée en 1930 par son père Luigi. C’est un des tout premiers essais où elle recourut à la notion de « totalitarisme », qu’elle adopta bien avant Hannah Arendt pour désigner à la fois le nazi-fascisme et le « communisme » stalinien, sans se soucier des « fins ultimes » faussement affichées par ce dernier pour se distinguer du premier.
On trouvera aussi dans le présent volume une esquisse de sa biographie, due à Gianpiero Landi, où son itinéraire intellectuel est complété par un aperçu de la militante qu’elle fut tout au long de sa vie. Toujours attachée à la cause du socialisme libertaire (Luce s’était déclarée anarchiste dès l’âge de... huit ans !) et critique impénitente des « socialismes réellement (in)existants », elle en donna une preuve de plus au début des années 1960, quand elle abandonna la FAU (Fédération anarchiste uruguayenne) à cause de son soutien au régime castriste. Dans les dernières années de sa vie et jusqu’à sa toute fin, elle participa à la revue Opción libertaria, l’organe du Groupe d’étude et d’action libertaire.