Version bilingue français/italien
Un des bastions idéologiques de la domination, c’est son éternité supposée, sa présence pérenne. Pour ne pas être questionnée, elle prétend être comprise et acceptée par tous comme si son existence était inévitable et naturelle. Si l’autorité a toujours existé, naturelle comme le soleil et l’eau, si le besoin de commander et le besoin d’obéir sont aussi inévitables que le besoin de manger et le besoin de dormir, alors toute critique radicale du pouvoir, toute tentative de le renverser, toute désertion de ses rangs, est complètement dénuée de sens. Une idiotie, avant d’être une utopie.
C’est pourquoi la domination veut que son monde soit perçu comme le seul et unique possible, peut-être à perfectionner et à corriger, mais jamais à démolir. Ce travail de persuasion ne se produit pas seulement en dehors de nous, matériellement, jour après jour, à travers les obligations quotidiennes qui nous sont imposées. Cela se passe en nous-mêmes, aussi dans notre esprit, dans notre imagination. Pour éradiquer l’idée même qu’un monde sans autorité soit possible, la domination doit sans cesse réécrire l’histoire à son image et à sa ressemblance. Elle transmet les exploits des rois et des empereurs, des nobles et des papes, des chefs de gouvernement et des hommes d’affaires, mais elle se tait, enlève, mystifie les exploits des rebelles et des révolutionnaires. Surtout de ces rebelles et de ces révolutionnaires qui l’ont défiée et combattue sans vouloir la conquérir (rejetés à moitié comme des rêveurs romantiques, à moitié comme des criminels fous).
Tout cela explique pourquoi les anarchistes ne trouvent guère de place dans les livres d’histoire officiels. Car ce que nous appelons l’Histoire, est quelque chose reconstruit par des spécialistes, des universitaires qui fréquentent les archives et les bibliothèques, dont 99% sont payés par l’État. Ne voulant pas cracher dans le plat où ils mangent, même les très rares historiens qui « sympathisent » avec les idées anti-autoritaires tendent à les enfermer dans un passé très éloigné, plutôt que de les ouvrir au présent et au futur. Dans leurs œuvres, parfois bien documentées, on peut entendre comme un soupir : « tout cela est juste et beau, mais c’était nécessaire, possible et compréhensible à l’époque, tandis qu’aujourd’hui … ».
Et pourtant, nous pensons que l’opposition au pouvoir, à l’État, au capitalisme, est toujours nécessaire, possible et compréhensible, même aujourd’hui. Et au cas où cette opposition n’est pas possible et compréhensible, c’est à nous de la rendre telle. Parce qu’en dehors de la révolte et de l’insurrection contre ce monde misérable, il n’y a que la résignation à ce monde misérable.
Or, à notre avis, si elle ne veut pas se condamner à la reproduction du déjà vu ou à l’impuissance, cette révolte doit éclater partout, dans les rues et les places comme dans les cœurs et les têtes. D’où l’urgence de redonner à l’insurrection sa pensabilité, son imaginabilité. Une contribution dans ce sens, consiste à ramener à la lumière ces moments, ces personnages, ces expériences du passé que l’historiographie institutionnelle a effacé.